Quel est l’impact des relations parasociales sur la santé mentale ?

La chanteuse Taylor Swift bat de nombreux records de vente depuis une quinzaine d’années. Cette ascension fulgurante est en partie due à sa capacité à créer une réciprocité dans le lien avec ses fans, les swifties. Les relations parasociales sont un type de relation sociale à sens unique envers une personnalité publique ou fictionnelle. La frontières avec les relations sociales étant floue, ce type de lien peut répondre aux besoins d’attachement des adolescents et jeunes adultes (MacNeill & DiTommaso, 2022). Toutefois, à une intensité inhabituelle, les personnes peuvent développer des comportements de toxicité, la jalousie et l’intimidation envers la personnalité (Gannon, 2018). Etant donné la prédominence des relations parasociales, on peut se demander quels sont les effets de ces relations sur la santé mentale.
Un attachement sans failles
Les réseaux sociaux permettent aux personnalités publiques d’avoir un contrôle sur l’image qu’elles souhaitent montrer au public. Les fans, quant à eux, sont actifs dans les interactions sur les plateformes, ils peuvent donner leur avis, écrire directement à la personne, allant même jusqu’à communiquer par messagerie avec elle. Ils ont une place décisive dans le devenir des célebrités, qui seront plus appréciés s’ il y a une impression d’accessibilité et d’identification. Taylor Swift est l’incarnation de cette fille d’à côté (la fameuse girl next door). Car si l’interaction et la relation sont caractérisées par leur caractère unilatéral, ces liens peuvent sembler authentiques pour les fans à condition que les interactions incluent des aspects d’amitié et de compréhension (Chung & Cho, 2017).
Les swifties constituent une des plus grosses communautés d’un.e artiste. Et pour cause, aux débuts de sa carrière, Taylor Swift invite ses fans les plus assidus à partager des moments avant ses concerts, elle cache des messages (les easter eggs) adressés à sa communauté dans ses chansons, elle partage des photos de son journal intime pour promouvoir son album Lover… Un symbole essentiel qui traduit ce sentiment de familiarité sont les bracelets. Dans une de ses chansons, Taylor Swift évoque le sentiment d’appartenance et enjoint son public à porter des bracelets d’amitié. Depuis, les bracelets sont un élément incontournable pour participer à ses concerts et se rencontrer entre adorateurs de la célébrité. L’effet secondaire de cette relation “privilégiée” se fait ressentir chez une partie des swifties, avec des agressions verbales et un refus d’accepter les critiques, traduisant une dévotion sans faille envers l’artiste. Si la relation parasociale et l’attachement des fans ont un intérêt marketing, financier et de popularité pour l’artiste, les effets sur les personnes qui ressentent cet attachement restent à explorer.
Un effet protecteur contre le sentiment de solitude ?
Dans le concept de relation parasociale, la notion d’identification à l’artiste est importante. Ce type de relation, au même titre que les relations sociales, permet à l’adolescent qui se construit de définir son identité. S’identifier amène les personnes à adopter les émotions de la personnalité, comme si elles
étaient les siennes. Si la personnalité se rend plus accessible pour favoriser l’identification, la personne peut aussi s’autoriser à explorer des situations qui ne seraient pas possibles dans la réalité. En tant qu’adolescent ou jeune adulte, ce processus de projection permet un apprentissage sans “risque réel” du vécu de l’autre qui paraît inaccessible à première vue.
Pouvoir s’identifier à ces stars, c’est pouvoir développer en toute sécurité des habiletés sociales et la construction de son identité (Kokesh & Sternadori (2015), et ainsi affiner sa connaissance de soi dans ses compétences, ses centres d’intérêts, sa personnalité. Albert Bandura (1986) a mis en avant dans sa théorie de l’apprentissage l’importance de l’observation des comportements de l’autre, et des retours de l’environnement sur ces comportements pour reproduire ou éviter d’adopter des comportements en fonction des conséquences perçues. Bien que les relations parasociales et l’identification puissent être unilatérales, elles peuvent être particulièrement importantes pour l’identité personnelle et l’apprentissage social (Stever, 2011). Quand Taylor Swift partage au monde entier sa détresse après une rupture amoureuse, elle incite par imitation ses fans à se montrer vulnérables et à accepter leurs émotions désagréables.
Contre toute attente, les études montrent que les relations réelles et parasociales procurent aux individus des bénéfices assez similaires, notamment dans l’amélioration de l’humeur (Hartmann, 2016). Le sentiment d’appartenance est central dans le contexte des relations parasociales. Elles peuvent aider de nombreuses personnes qui sont confrontées à des problèmes de santé mentale. La promotion du soin des troubles mentaux permet de réduire la stigmatisation et d’apporter un soutien social parfois inexistant chez certaines personnes. On peut citer Selena Gomez, qui partage sa dépression et les solutions qu’elle trouve pour y faire face avec ses internautes. La solitude ressentie par les jeunes depuis le Covid-19 a été modérée par les interactions parasociales qui ont le bénéfice de combler le besoin de relations satisfaisantes. Dans les relations parasociales, il n’y a pas de conflits, peu d’émotions désagréables. Le risque étant de privilégier le manque de relations sociales traditionnelles uniquement par des relations unilatérales.
Quand la relation parasociale dessert la personne
Car si les relations parasociales permettent de se sentir moins seul.e, elles peuvent impacter l’estime de soi. L’identification aux personnalités implique aussi la comparaison, or la célébrité correspond généralement à des critères extrêmement élevés de beauté, de talent, de caractéristiques morales ou de richesse. De manière contradictoire, les personnes qui ont une faible estime d’eux-mêmes auront tendance à s’attacher aux personnalités qui correspondent à leur “soi idéal”, creusant ainsi l’écart entre leur image d’eux et celle qu’ils souhaitent obtenir. La comparaison ascendante se fait aussi dans l’esthétique physique. En 2010, Oxley montre que des jeunes femmes engagées dans une relation parasociale avec une personnalité mince présenteraient une satisfaction corporelle moindre après comparaison.
Les relations parasociales peuvent atteindre une intensité particulièrement forte. On ne compte plus le nombre de fan fictions, des récits écrits par les fans dans lesquels ils projettent des relations amicales, amoureuses ou sexuelles avec les personnages fictifs ou célébrités. Ce phénomène se prolonge avec une identification qui dépasse la capacité même à se distinguer de la personne en question. Les conséquences de ce sentiment de fusion sont des comportents agressifs, inappropriés, abusifs, allant jusqu’au harcèlement envers d’autres internautes ou envers la célébrité (Gannon, 2018). Dans ce contexte, l’intensité du lien est comparable au troisième niveau d’adoration des célébrités identifié par McCutcheon et al. (2003).
Ce modèle se divise en trois niveaux : le premier est le niveau « divertissement-social », où les fans interragissent et commentent leurs expériences liées à la personnalité, le deuxième est le niveau « intense-personnel », caractérisé par des sentiments et des pensées fréquents et intenses envers la célébrité, et le troisième est le niveau « limite-pathologique », qui comprend des comportements à risque et des obsessions, similaires à l’érotomanie. Les niveaux avancés d’adoration des célébrités sont associés à une diminution du bien-être psychologique, à un risque de dissociation, et à des risque d’impulsivité comportementale et d’addiction. Bien sûr, il ne s’agit pas de généraliser la communauté de fans à ce dernier niveau, mais d’identifier les facteurs de risques qui se sur-ajoutent aux personnes avec des troubles de l’humeur ou des troubles de la personnalité.
Enfin, l’influence d’une célébrité se mesure à sa capacité à vendre des objets marketing (disques, concerts, vêtements promotionnels). Les fans collectionnenet les objets caractéristiques de l’artiste pour augmenter ce sentiment d’appartenance, de proximité et de soutien à l’artiste. Ici, les émotions impactent la décision de l’achat et modifient la confiance de la personne envers la personnalité. On peut se demander si les consommateurs seront aussi regardants sur la provenance, la composition, ou la qualité des objets ou événements proposés. La sortie du dernier album de Taylor Swift, a battu en cinq jours le record historique de ventes, ce qui montre l’investissement des fans, indépendamment de la qualité de l’album, qui a été remis en question par une partie du public.
Conclusion
Il semble primordial, en tant que psychologue, d’évaluer si les relations parasociales sont complémentaires aux relations sociales réelles. Les relations parasociales ne peuvent suffire à substituer les relations sociales classiques, le risque étant d’être dans un comportement d’évitement des échanges réciproques, des conflits ou de la gestion et la régulation des émotions. On pourrait investiguer la stigmatisation des communauté de fans, souvent ridiculisée et moquée par les médias, alors que les relations parasociales peuvent être une ressource et un facteur protecteur pour la construction de l’identité.
Références bibliographiques
Hoffner, C.A. & Bond, B.J., 2022, « Parasocial relationships, social media, & well-being », Current Opinion in Psychology, 45 : 101306. https://doi.org/10.1016/j.copsyc.2022.101306
Mula-Márquez, Y., Nava-Arquillo, B., Matías-García, J.A. et al., 2024, « Parasocial relationships and identification with fictional characters in adolescents and adults: a systematic review », Research Square, preprint, 26 March. https://doi.org/10.21203/rs.3.rs-4154497/v1
Witkowska, A., 2025, « Parasocial Relationships and their Importance for Mental Well-Being », Media – Culture – Social Communication, 21. doi:10.31648/mcsc.10396
Zafina, A. & Sinha, R., 2024, « Celebrity-fan relationship: studying Taylor Swift and Indonesian Swifties’ parasocial relationships on social media ».